Eric Patrick "Slowhand" Clapton…
J’ai découvert ( et en suis devenu grand fan ) Eric Clapton en 1965.
J’avais 15 ans et j’adorais
For Your Love des
Yardbirds.
https://www.youtube.com/watch?v=HU5zqidlxMQ
J’aimais tellement ce morceau que j’avais acheté le 45t E.P. sur lequel on trouve aussi un solide instrumental intitulé
Got to Hurry, au son de guitare puissant, pas très courant pour l’époque.
https://www.youtube.com/watch?v=y8EyscDesjY
La composition de l’instrumental est attribuée sur l’étiquette à un certain Rasputin, un nom qui ne manquait évidemment pas de m’intriguer…
Je n’ai fait le rapprochement que plus tard quand j’ai lu que le manager du groupe – qui s’était un temps occupé des Rolling Stones avant qu’ils ne soient signés par Andrew Loog Oldham – travaillait avec un club célèbre de Richmond dans le sud de Londres, le Crawdaddy ( où se sont produits nombre de musiciens devenus des stars par la suite ) était un dénommé Giorgio Gomelsky, un ressortissant anglo-géorgien, spécialiste du jazz, qui managera également des artistes comme Rod Stewart, Long John Baldry, Julie Driscoll, Brian Auger, les Animals ou encore les Paramounts ( qui deviendront les Procol Harum )…
Les origines du truculent personnage étant ce qu’elles étaient, le pseudo Rasputin trouvait donc son explication...
J’ai déjà évoqué Giorgio Gomelsky ici, dans les premiers temps de cette rubrique – il y a déjà maintenant quelques années – et si je l’évoque à nouveau c’est parce que cet homme a joué un rôle considérable dans l’histoire du Rythm’ and Blues en Angleterre et dans les débuts de la carrière de notre Eric.
Ce dernier détestait
For Your Love qu’il estimait beaucoup trop commercial, lui qui à ses débuts ne voulait s’exprimer que par le blues, le vrai. D'ailleurs quand on regarde la pochette du disque, Eric, qui est l'avant-dernier à droite sur la photo, n'a pas l'air de s'amuser beaucoup...
Le titre a néanmoins rencontré un succès considérable et s’est classé 3ème en Angleterre, 6ème aux Etats-Unis.
C’est une composition de Graham Gouldman qui écrira aussi le hit suivant du groupe,
Heart Full of Soul et encore, par exemple,
Bus Stop pour les Hollies,
No Milk Today pour Herman’s Hermits avant de former, début des seventies, l’excellent groupe 10CC…
Clapton ne joue que la partie centrale, le pont, de guitare sur
For Your Love. C’est dire s’il s’était fait tirer l’oreille pour participer à l’enregistrement…
Pour ma part, j’ignorais, en usant le petit vinyle en question, que le guitariste avait déjà, à ce moment-là, quitté le groupe pour rejoindre les Bluesbreakers de J
ohn Mayall.
Non sans avoir au préalable suggéré son remplacement par Jimmy Page qui refuse dans un premier temps pour proposer l’excellent Jeff Beck. Page jouera quand même avec le groupe plus tard avant de faire décoller son dirigeable
Led Zeppelin.
Quant à Beck, il formera le très bon
Jeff Beck Group avec Rod Stewart, Nicky Hopkins, Ron Wood, Mick Waller et bien d’autres pointures. Il ne s’en tiendra pas là et réalisera un nombre important d’albums blues, jazz, psyche… Il jouera avec la section rythmique de Vanilla Fudge( qui deviendra
Cactus ), Beck, Bogert and Appice…
Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page… Quel trio de guitaristes ! Les Yardbirds, comme les groupes de John Mayall, auront été de merveilleux laboratoires, des nids idéaux pour l’éclosion de magiciens des six cordes, Gibson ou Fender…
Les Yardbirds quittés, Eric Clapton participe a toute une série de sessions de blues sous la direction du producteur Mike Vernon ( le génie qui réalisera plusieurs grands albums de
John Mayall, Fleetwood Mac, Savoy Brown et créera son propre label chez Decca nommé Blue Horizon.
Je me suis souvent demandé, connaissant la culture jazz et blues de cet homme doué, si ce nom pour les étiquettes des disques produits avait été suggéré par le très beau blues éponyme de Sydney Bechet mais je n’ai jamais trouvé la réponse.
https://www.youtube.com/watch?v=fNgYTkcPCZw
Les plages enregistrées par Eric Clapton pour ces sessions se retrouvent sur diverses anthologies où s’expriment aussi de grands noms du blues de passage à Londres comme Champion Jack Dupree, Otis Spann, …
Le Steve Anglo cité sur la pochette de Raw Blues n'est autre que Stevie Windwood...
Avec John Mayall, qui le laisse libre d’improviser, de donner libre cours à son inspiration, Clapton fera littéralement exploser le son de ce que l’on a coutume d’appeler le
Beano album, un monument du British Blues qui n’a finalement pas de concurrence tant ce disque est unique. On peut écrire qu’il s’agit là de la pierre angulaire du genre et des décennies plus tard, il est toujours cité en exemple.
Tout y est de haute tenue si l’on excepte une interprétation à mon sens inutile de
What’d I Say, prétexte à solo de batterie comme il était souvent de bon ton de publier à l’époque.
Les compositions originales ou les reprises bien choisies. Le son fabuleux de la guitare d’Eric, les claviers et les harmonicas de Mayall, l’apport de saxophonistes talentueux – que l’on retrouvera plus tard – comme Johnny Almond ainsi que la production intelligente de Mike Vernon ( il avait dû batailler ferme pour faire accepter le volume de ce son par les ingénieurs de Decca…), la section rythmique imparable de John McVie ( basse ) et Hughie Flint ( drums ), tout contribue au fait que ce grand disque est unique, un monument à part, un moment rare...
C’est encore John Mayall qui pousse Eric à y chanter en solo pour la première fois de sa carrière officielle en sélectionnant la reprise d’une composition de Robert Johnson, l’une des idoles du guitariste,
Ramblin’On My Mind….
https://www.youtube.com/watch?v=CEjskLU7Q8k
Il y a quelques morceaux de bravoure sur cet album comme l’instrumental
Hide Away ou le superbe
Have You Heard et son intro au sax ténor. Des plages qui font que le Beano album restera, je le répète encore, à jamais comme un des disques les plus importants de ce genre musical et de la musique en général.
https://www.youtube.com/watch?v=m9N8Qi6zLSU
https://www.youtube.com/watch?v=a2FR1HYod44
C’était une époque folle. Certains écrivaient
Clapton is God sur les murs…
Une chose qui ennuyait le guitariste qui avait déjà des goûts d’ailleurs et ne venait pas toujours rejoindre le groupe lors de la tournée des clubs.
Peter Green ( futur co-fondateur du
Fleetwood Mac première époque avec la section rythmique du moment de Mayall, John McVie à la basse et Mick Fleetwood aux drums, ces derniers étant toujours de nos jours la base de cet excellent groupe ) qui tournait autour des Bluesbreakers depuis un moment finira par le remplacer et apportera une tonalité différente aux enregistrements ( le très bel album A Hard Road )… Peter Green est un guitariste surdoué lui aussi mais avec une touche plus légère, des sonorités éthérées, de la légèreté.
Clapton participe alors à une aventure étonnante et brillante.
Une initiative que l’on avait coutume de définir comme un super groupe dans ces années-là. Le sien réunissait Jack Bruce
( basse, chant ) et Ginger Baker ( drums ) et était un trio puissant, inventif qu’ils nomment
Cream. J’avais lu un petit entrefilet qui annonçait cette naissance dans le Melody Maker et je m’étais dit qu’appeler carrément leur groupe Cream, il fallait quand même l’oser… Mais c’était vraiment la crème de la crème.
La première écoute de morceaux tirés du premier album du groupe étonnait car on n’y ne retrouvait pas vraiment la patte de l’Eric du Beano album. Il y a plusieurs raisons à cela. Mike Vernon ne produit pas Cream et chez Mayall, c’était Eric Clapton le soliste, la vedette puisque John lui laissait toute liberté d’expression.
https://www.youtube.com/watch?v=EVcIer_4OnA
Ici, nous avons trois personnalités hyper douées avec de gros égos qui devaient faire des concessions entre elles pour réussir à travailler ensemble et créer une musique de groupe. C’était un combat continuel, une compétition à trois et c’est sans doute ce climat qui est à l’origine de l’énorme succès, de la réussite du trio.
C’est surtout sur scène que ces musiciens exprimaient le mieux leur véritable potentiel. D’ailleurs, ils ont illustré leur relativement courte coopération par plusieurs albums live pour permettre au public d’y retrouver l’esprit qui animait les musiciens.
Je n’ai jamais eu la chance de voir jouer Cream mais il suffit d’écouter ces albums live ( c’était d’ailleurs très tendance à ce moment-là ) pour découvrir la lutte positive à laquelle se livraient ces titans musicaux. Chacun jouant fort ( et merveilleusement bien ) en tentant de tirer la couverture à lui. Les morceaux s’allongeaient (une autre tendance du temps ) et pendant de longues minutes, des phrases, des gammes de guitare sur fond de basse vrombissante et de batterie surdimensionnée sortaient des haut-parleurs.
Il faut être honnête et reconnaître que 10 minutes de
Spoonful ou de
I’m So Glad étaient parfois longuettes mais l’énergie et l’inventivité étaient bien là.
Au niveau des enregistrements studio après le premier disque,
Fresh Cream, sort
Disraeli Gears et sa fantastique pochette psychédélique dessinée par The Fool, les artistes hollandais qui avaient peint la façade de la boutique Apple des Beatles sur Baker Street.
Là, nous tenions un très beau disque, un autre monument du blues électrique assaisonné de couleurs sonores dites psychédéliques. Les plages sont exceptionnelles :
Sunshine Of Your Love,
Tales of Brave Ulysses,
Dance The Night Away,
Swlabr,
Strange Brew, World of Pain… Tout est réuni pour faire de cet album un chef d’œuvre du genre.
https://www.youtube.com/watch?v=m_NholHANoY
https://www.youtube.com/watch?v=zt51rITH3EA
Il l’est bien entendu mais sa sortie en Angleterre est quelque peu occultée par un autre événement majeur car elle coïncide avec celle du premier album de l’Ovni,
Jimi Hendrix Experience,
Are You Experienced ? …
Il n’empêche, Cream est alors au sommet de son art et le groupe sort rapidement un double album, un vinyle live et un vinyle studio,
Wheels of Fire.
Un autre disque qui allait faire date. La pièce live porte une de ces perles qui marquent à jamais les esprits curieux comme le mien. Encore une reprise de Robert Johnson,
Crossroads. Tout simplement fantastique… Tellement fantastique que, chose devenant rare alors, la firme de disque sort un 45t single pour mieux diffuser encore cette incontestable perle.
https://www.youtube.com/watch?v=PE9HvSdcaL4
Les artistes d’exception ne peuvent éternellement jouer ensemble et ressentent toujours le besoin d’aller plus loin, de tenter de nouvelles expériences, de vivre de nouvelles aventures musicales avec d’autres. Au sein de Cream, ce constat est d’autant plus vrai que le climat y est continuellement orageux.
Notre ami Slowhand va alors essayer autre chose.
Encore une expérience éphémère mais qui a elle aussi touché les esprits.
Eric réunit Stevie Winwood ( Spencer Davis Group, Traffic ), Rick Grech ( Family ) et emmène avec lui Ginger Baker de Cream pour former
Blind Faith qui produira un seul album, un peu inégal mais les quatre musiciens réaliseront des tournées triomphales et très rémunératrices…
( A suivre )